Volcans, vents et vignerons : L’originalité singulière des Côtes d’Auvergne

25/05/2025

L'Auvergne, vigne oubliée sous la lave

Qui pourrait soupçonner, en traversant les plateaux balayés par les vents entre Clermont-Ferrand et le Sancy, que se cache ici l’un des plus vieux et des plus attachants vignobles de France ? Pourtant, les Côtes d’Auvergne racontent une histoire millénaire, faite de renaissance et de résistance. Ce n’est pas un grand nom sur les tables étoilées, mais c’est peut-être pour cela que chaque bouteille qui en sort vibre d’intensité.

À l’origine, l’Auvergne était poids lourd du vin, jusqu’à couvrir près de 45 000 hectares de vignes au XIXe siècle, plus que la Bourgogne ! C’était avant la crise du phylloxéra et l’exode rural. Aujourd’hui, le vignoble se concentre sur 400 hectares à peine, disséminés sur près de 80 kilomètres, faisant de l’appellation Côtes d’Auvergne l’une des plus confidentielles du paysage viticole (source : Interloire).

Les Côtes d’Auvergne, ce sont surtout cinq crus principaux : Madargue, Châteaugay, Chanturgue, Montpeyroux et Boudes, chacun doté d'une identité géologique et climatique propre, reflet d'une mosaïque de terroirs où la vigne s’accroche souvent à des pentes ardues.

Un terroir entre pierre noire et écume des vents

Ce qui fait l’âme d’un vin, c’est d’abord le sol sous la racine. Ce terroir auvergnat, c’est une armure d’anciens volcans de la chaîne des Puys. On est ici sur des marnes, des basaltes, des pouzzolanes, des coulées de lave fossilisées, parfois entremêlées de granite et de schistes. Cette diversité minérale rare est le socle de la singularité des vins locaux.

  • À Chanturgue : les vignes s’accrochent à la faille de Limagne, sur du basalte pur, conférant au gamay des notes poivrées et minérales.
  • À Boudes : la terre incarnadine et la présence d’argile colorent les pinots et gamays, offrant profondeur et volume.
  • Montpeyroux jongle avec calcaire et argiles, résultat ? Des rouges au profil solaire, dotés d’une jolie fraîcheur.

Les contrebas des puys favorisent aussi les vents qui ventilent les grappes : un allié précieux contre les maladies. Les nuits fraîches ralentissent la maturité, garantissant une vraie vivacité dans les vins, loin des profils exubérants, mais avec une tension remarquable.

Cépages ancestraux et créations d’artisans

Si la région ne s’est pas laissé manger par l’uniformité, c’est grâce au maintien d’un encépagement traditionnel :

  • Le gamay (70 % environ) capte la fraîcheur volcanique comme nulle part ailleurs, donnant des rouges épicés, souples, et parfois légèrement fumés.
  • Le pinot noir fait ici la synthèse entre prestance bourguignonne et croquant auvergnat : moins opulent, mais plus tranchant, avec de beaux tanins serrés.
  • Les blancs sont menés par le chardonnay — parfois le tressallier, cousin de Saint-Pourçain, s’invite à la fête. Cela donne des vins droits, floraux, où pointent des notes de pierre à fusil.

Fait remarquable, des vignerons ressuscitent des cépages oubliés, tels que le gamay d’Auvergne ou le pinot gris local, fruits de greffes patiemment opérées à partir de vieilles souches retrouvées dans d’antiques rangs abandonnés (source : Revue du Vin de France, 2022).

Le label AOC : reconnaissance d’une identité radicale

La reconnaissance officielle ne date que de 2011, plaçant les Côtes d’Auvergne dans le cercle fermé des AOC, après plus de cinquante ans d’attente. Mais le cahier des charges est exigeant : parcelles précises, rendements limités (52-56 hl/ha), élevage minimal de 6 mois pour les rouges et 3 pour les blancs (INAO).

Cette AOC s’étend sur 53 communes du Puy-de-Dôme, marquant une unité dans la diversité. Les cinq crus cités précédemment peuvent être mentionnés sur l’étiquette, chacun porteur d’une typicité formalisée. Les rouges doivent être composés d’au moins 50 % de gamay, ce qui imprime un caractère très particulier au vin.

Moins de 40 producteurs portent aujourd’hui l’AOC sur les épaules — et l'esprit collectif y est vivace. Plusieurs caves coopératives, tel le Cellier de Montpeyroux, et des domaines familiaux réputés (Cave Saint-Verny, Domaine Miolanne, Château de la Vigne…), témoignent de ce tissage serré entre histoire et engagement contemporain.

Des vins de caractère, entre fraîcheur et franchise

Que recherche-t-on dans un vin d’Auvergne ? À l’aveugle, le profil ne trompe pas. Ici, pas d’extraction à outrance ni de fard. Les rouges affichent une robe souvent claire, au nez sur le fruit rouge frais, la violette, le poivre gris, parfois ce fumé inimitable évoquant la pierre chauffée. En bouche : acidité dynamique, tanins maîtrisés, peu de sucre résiduel. Sur les millésimes chauds, les vins gardent cette trame droite, signature du terroir.

  • Madargue est souvent cité pour ses rouges vifs, sapides, parfaits sur une truffade ou une volaille fermière.
  • Boudes offre parfois des vins plus charpentés, qui se gardent une dizaine d’années sur les beaux millésimes.
  • Chanturgue est le grand classique « clermontois », vin rouge officiel des matchs de rugby de l’ASM et compagnon historique des tripoux (La Montagne).

Le chardonnay, quant à lui, déploie minéralité et fraîcheur, rarement gras, mais avec une énergie de fin de bouche qui pousse toujours à resservir. L’un des secrets de leur buvabilité ? Ce sont des vins pensés pour accompagner la convivialité, jamais la démonstration.

La mosaïque des paysages et des hommes

Ce vignoble ne serait rien sans l’engagement d’une nouvelle génération de vignerons, souvent revenus d’ailleurs, qui réinventent la tradition. Le bio et la biodynamie prennent racine, ici plus qu’ailleurs, car le climat permet de limiter les traitements. Une trentaine de domaines cultivent désormais en agriculture biologique (source : Fédération des Vins d’Auvergne, 2023).

Le rayonnement du vignoble s’accroît en France et au-delà. Depuis 2014, une association – « Côtes d’Auvergne, Terroir des Volcans » – agit pour promouvoir la singularité des vins sur les salons et dans les médias (voir cotes-dauvergne.fr), et des chefs étoilés comme Régis Marcon ou Jean Mauclerc mettent en avant ces cuvées jusqu’à Tokyo ou Helsinki.

Ce que le verre raconte du volcan

Goûter un Côtes d’Auvergne, c’est plonger dans un puzzle de lave, de pluie et de patience humaine. Le vignoble est parfois rude — souvent balayé par la burle, obligé de lutter quand la météo fait grise mine. Mais dans chaque verre, c’est tout le pays qui chante : les effluves botaniques de la vallée de la Sioule, les reflets sombres des coulées de basalte, le murmure lointain d’un volcan endormi ; c’est cette « âme volcanique » qui fait la différence et que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.

À l’heure où beaucoup cherchent à revenir à l’essentiel, les Côtes d’Auvergne rappellent que le vin, ce n’est pas qu’une histoire de classement ou de chiffre d’affaire. Ici, c’est le goût d’une terre volcanique, la mémoire des gestes anciens, la singularité d’un terroir qui refusent de disparaître.

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