Quand le phylloxéra a changé la face des vignes en Auvergne

04/05/2025

Le phylloxéra : ce que c’est et comment il est arrivé en Auvergne

Le phylloxéra, pour les non-initiés, est un minuscule puceron originaire d’Amérique du Nord (Viteus vitifoliae, pour les amateurs de précision). Cet insecte s’attaque aux racines de la vigne en y creusant des galeries, ce qui finit par affaiblir et tuer le pied de vigne. Chez nous, en Europe, la vigne indigène (Vitis vinifera) n’avait aucune défense naturelle contre ce parasite. Résultat : une véritable hécatombe.

L’histoire raconte que c’est par les échanges commerciaux – et notamment par l’importation de plants américains destinés à l’étude – que le phylloxéra a débarqué dans le sud de la France dans les années 1860. Le puceron n’a pas tardé à s’étendre comme une traînée de poudre, porté par les échanges et le transport, pour atteindre la quasi-totalité du vignoble français en moins de 20 ans.

Quand le phylloxéra a-t-il frappé l’Auvergne ?

En Auvergne, la crise survient dans les années 1870, avec une progression géographique bien documentée. Les premières attaques sont signalées en 1872 aux abords de Clermont-Ferrand et, très vite, les vignobles des alentours – Issoire, le Lembron, les coteaux de Corent – sont touchés. À son apogée, le phylloxéra ravage jusqu’à 80 % des vignes de la région.

Pourquoi l’Auvergne a-t-elle été si vulnérable ? La réponse est en partie économique. Comme ailleurs en France, ce sont les vignerons eux-mêmes qui, souvent par méconnaissance, ont favorisé l’expansion de l’insecte en replantant systématiquement des ceps contaminés ou en utilisant des outils non désinfectés. Le moindre espace où le phylloxéra s’installe devient un foyer de destruction.

Un choc économique et social dans toute la région

Pour comprendre l’impact de cette crise, il faut imaginer l’importance des vignes pour l’économie locale. À cette époque, la viticulture représente une activité majeure en Auvergne. Les coteaux volcaniques, généreux en sols riches et propices à la qualité des raisins, font vivre des milliers de familles de vignerons, mais aussi des tonneliers, des commerçants et des transporteurs. Le vin d’Auvergne est exporté bien au-delà des limites de la région, attirant des acheteurs de tout horizon.

Avec l’arrivée du phylloxéra, tout s’effondre :

  • Entre 1875 et 1885, la production de vin auvergnat chute de manière vertigineuse, réduite par endroits à moins de 20 % de sa capacité initiale.
  • Les villages viticoles voient leur population décroître. Nombreux sont les paysans qui émigrent vers la ville ou changent de métier.
  • Le prix des terres viticoles s’effondre, plongeant certains vignerons dans la ruine totale. À Corent ou à Boudes, de nombreuses parcelles sont simplement abandonnées.

Parfois, les dégâts vont même au-delà des vignes. La capacité des sols à se régénérer est compromise, et des terrains entiers restent inutilisables pendant des décennies. Quand la vigne s’éteint, c’est tout un écosystème qui vacille.

La solution américaine : le greffage, une lueur d’espoir

Alors que le scepticisme domine parmi les vignerons auvergnats, une solution venue d’Amérique commence à démontrer son efficacité : le greffage. L’idée est simple et révolutionnaire pour l’époque : greffer les cépages européens sur des pieds américains, eux-mêmes naturellement résistants au phylloxéra.

En Auvergne, les premières expérimentations de greffage débutent timidement dans les années 1880. C’est un processus long et coûteux, car il nécessite de remplacer totalement les plants endommagés. Pourtant, c’est une question de survie pour les vignerons les plus pressés de rétablir leur production.

Entre 1885 et 1900, les parcelles greffées prennent de plus en plus de place sur le vignoble auvergnat. Et avec elles, on assiste à la naissance d’un paysage viticole légèrement repensé – trahissant les influences américaines tout en conservant l’âme des cépages locaux.

Un renouveau malgré des pertes durables

Malgré les efforts pour sauver la viticulture régionale, certaines pertes ont été irréversibles. Avant l'arrivée du phylloxéra, on comptait plus de 50 000 hectares de vignes en Auvergne. Après la crise, ce chiffre tombe à moins de 15 000 hectares au début du XX siècle. Une véritable fracture. Beaucoup de parcelles ne seront jamais replantées, faute de ressources ou de main-d’œuvre.

Mais là où certains cépages disparaissent, d'autres reprennent vie et gagnent en qualité. Le gamay, grand cépage d’Auvergne, résiste bien au greffage et s’épanouit à nouveau sur les sols volcaniques. Quant aux vignerons, après avoir pris la mesure du désastre, ils se révèlent de grands innovateurs, combinant techniques traditionnelles et modernité pour tirer parti de chaque lopin de terre encore exploitable.

Un héritage inattendu

Le phylloxéra a aussi laissé un certain nombre de leçons utiles. Il a rappelé aux vignerons à quel point la vigne est une plante fragile et précieuse, qu’il faut protéger non seulement contre les ravageurs, mais aussi contre toutes les formes de monoculture intensive. Aujourd’hui, quand on contemple les vignes d'Auvergne, on n’oublie pas que c'est grâce à une grande résilience – et des solutions collectives comme le greffage – qu’elles existent encore.

Les vignes auvergnates, entre mémoire et renouveau

Marcher parmi les vignes du Sancy ou explorer les caves de Corent, c’est aujourd’hui un voyage entre passé et avenir. Le phylloxéra a certes laissé sa marque, mais il a aussi contribué à façonner l’identité des vins auvergnats d’aujourd’hui. Ces vins puisent dans une histoire tumultueuse pour produire des bouteilles à nulle autre pareille, le fruit de la lave et des cendres, mais aussi de la ténacité humaine.

Et quand vous déboucherez votre prochaine bouteille auvergnate – peut-être un saint-pourçain ou un vin des côtes-d’auvergne – n’oubliez pas de lever votre verre à tous ces vignerons qui, face à l’adversité, n’ont jamais baissé les bras.

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